Petite Berthe était née au début du mois de mai quelques minutes après ses 2 frères.
Maman les avait toujours couvés tous les trois de tout son amour, les soignant, les nourrissant avec patience et délicatesse pendant que papa, grâce à un dur labeur, ramenait de quoi nourrir ses petits oisillons.
Pour Petite Berthe, les journées étaient douces en ce printemps. Dès les premiers rayons, le soleil la réchauffait et l'obligeait à ouvrir les yeux.
Alors, commençait une journée, qui ressemblait à toutes les autres : repas, toilette, apprentissage de la vie, puis jeux divers, éclaboussures, sauts dans les flaques et acrobaties aériennes, promenades, bien en file entre maman et papa.
Quand la nuit tombait, Petite Berthe et ses frères regagnaient le nid d'amour de leurs parents et bien calfeutrés, sous un chaud duvet, ils s'endormaient sous le regard attentif des deux adultes qui veillaient au grain.
Mais Petite Berthe avait envie d'autre chose. Souvent, elle faussait compagnie à sa famille pour partir en exploration autour de leur territoire. Mais qu'y avait-il donc derrière ces grands sapins ? Tiens, quel animal pousse ce cri étrange que j'entends ? Oh, le bel oiseau ! Quelles grandes ailes il a, quel grand bec ! Rho, un petit ver de terre qui gigote… Hmmm, une pelouse bien verte et parfumée…
Il y avait tant de choses à voir, tant de choses à découvrir ! Maman et papa s'en faisaient trop. Jamais ils ne voulaient la laisser seule. Il fallait toujours rester groupé, toujours. Papa disait que le monde est cruel, maman parlait de sécurité…
Mais l'herbe est toujours plus verte ailleurs et Petite Berthe voulait le découvrir par elle-même. Alors, elle se faufilait parmi les hautes herbes et les roseaux et pendant quelques précieuses minutes, juste avant que Maman ne remarque son absence, elle jouissait d'une précieuse indépendance.
La vie se déroulait, nonchalamment, sous le chaud soleil d'été. Tout était joie et confort pour Petite Berthe.
Mais un jour, Papa décida que demain, il faudrait partir.
Les frères de Petite Berthe en furent tout affolés. Ils aimaient tellement leur petit coin de pays. Ils y avaient leurs petites habitudes, leurs petits rituels de vie. Ils n'avaient pas envie d'en savoir plus, d'en connaitre plus.
Au contraire, Petite Berthe fut enchantée. Elle qui rêvait de connaitre ce qu'il y avait derrière la ligne d'horizon…
C'est ainsi que le lendemain dès l'aube, la petite famille se réveilla et entama le grand voyage.
Papa, le plus fort, était devant. Puis venaient les frères de Petite Berthe et enfin, Maman accompagnée de Petite Berthe. Tout le monde était bien en formation, sans rien qui dépasse.
Le voyage commençait bien. Le soleil était toujours présent, bien qu'un peu moins chaud que d'habitude. Les arbres avaient pris des couleurs de feu et les paysages étaient grandioses.
Mais très vite Petite Berthe commença à s'ennuyer. Alors, elle dériva, sortit du rang, se laissa porter par les courants, fit quelques acrobaties… Mais Maman la ramena dans le droit chemin, la rabrouant un peu, la forçant à réintégrer le rang. Petite Berthe s'en accommoda un moment, mais bien vite, l'ennui et l'envie la faisaient replonger entre les nuages. Alors, Maman, toujours patiente, toujours tellement maternelle, repartait chercher Petite Berthe et une fois encore, sans relâche, la ramenait à la suite de Papa.
Après bien des heures de voyage, Papa décida qu'ils feraient escale sur le bord de ce grand lac qu'ils apercevaient déjà au loin. Le soleil se couchait, la brume et le froid de la nuit commençaient à monter. Tous étaient fatigués. Il était bien temps de s'arrêter…
Alors, la petite famille accosta sur le bord du lac, dans un petit endroit discret, pour se mettre à l'abri de tous les dangers. Et après un repas somme toute assez frugal, se prépara pour la nuit et s'endormit comme un seul homme.
Le lendemain matin, alors que l'aube commençait à blanchir la région et que le silence de la nuit s'éteignait doucement, Petite Berthe se réveilla. En jetant un regard autour d'elle, elle admira ce magnifique et immense lac, bordé de grandes futaies. Et plus près d'elle… ses parents et ses frères qui dormaient encore.
Curieuse comme toujours, elle décida alors de partir seule en direction des arbres, dans l'espoir d'explorer plus avant cette région inconnue.
En arrivant sur la berge, elle fut bien étonnée en se retrouvant au pied des grands arbres ! Qu'ils étaient hauts ! Et puis, derrière eux, une petite clairière avec une herbe bien verte et toute douce. Des murmures, des craquements, mille et uns bruits de la nature alentour. Petite Berthe avançait en s'émerveillant à chaque pas.
Elle s'approchait des plus petits insectes, envisageait le champignon qui pousse sur le tronc, fouillait sous la mousse, plissait les yeux lorsqu'un rayon de soleil lui caressait le bout du… Oh ! Le soleil ! Il est levé ! Papa avait dit qu'ils repartiraient dès le lever du soleil ! Vite, vite ! Il fallait retourner au lac !
…
Mais en arrivant, Petite Berthe dû se rendre à l'évidence. Personne ne glissait plus sur l'onde. Personne ne mangeait plus dans un petit coin ensoleillé. Elle appela. Elle cria encore et encore, mais personne ne lui répondit. Il fallait bien se rendre à l'évidence : ils étaient partis. Sans elle. Ils n'étaient plus là et elle était seule.
Alors, faisant appel à tout son courage, à toute son audace, toute son impétuosité, à tout ce qui avait tant agacé Maman, Petite Berthe s'élança pour tenter de les rattraper.
Toute la journée elle vola, tira sur ses ailes, en direction du soleil. Elle cria, appela, encore, encore, jusqu'à ce que sa voix ne ressemble plus qu'au coassement d'un immonde crapaud. Elle se désespéra aussi. Elle se sentait bien frêle, bien petite pour affronter ce long voyage seule. Seule… Elle était seule ! Mais où étaient-ils donc ? Elle avait beau scruter les cieux, elle ne les voyait pas. Partis, seule, partis, seule.
Tout à coup, une ombre sortit d'un nuage qu'elle venait de traverser et fondit sur elle. Mais comme Petite Berthe regardait en tous sens pour chercher les siens, elle réussit à le voir juste avant que les redoutables serres ne s'enfoncent dans son dos et d'un coup d'aile, vira de bord. Elle plongea, poursuivie par le grand corbeau noir puis tout à coup, à la faveur d'un courant ascendant, remonta en chandelle avant de se retourner et par la grâce d'une acrobatie toute personnelle, se retrouver derrière le corvidé, qui, surpris par tant de dextérité, abandonna sa poursuite sans un regret.
Affolée, Petite Berthe sentait son cœur battre à toute allure. Elle voulait plus que jamais retrouver Maman, Papa et même ses 2 frères qui l'embêtaient si souvent. Elle battait encore plus vite des ailes. Plus fort. Mais elle se fatiguait. Elle se laissait planer parfois, mais la journée s'était écoulée, et les courants d'air avaient changés. Ils ne la portaient plus comme le matin même.
Petite Berthe sentait ses forces l'abandonner peu à peu. Déjà, elle regardait à terre, scrutant pour repérer une étendue d'eau, un lac, une mare, une flaque, n'importe quoi pour se poser. Mais la peur l'étreignait alors, la peur de se retrouver seule et elle redonnait un coup d'aile en appelant encore et encore.
Et puis soudain… Maman fut là.
Elle avait remarqué bien vite que Petite Berthe n'était pas avec eux. Mais elle avait continué, persuadée qu'elle les avait vu partir et les rattraperai facilement. Quelques temps plus tard, ils avaient ralentis la cadence, ils l'avaient appelée aussi. Mais rien n'y avait fait. Petite Berthe n'était pas là. Ils avaient beau observer avec attention autour d'eux, ils ne la voyaient pas.
Alors, en désespoir de cause, Maman avait rebroussé chemin. Mais comment retrouver une Petite Berthe, dans cette immensité ?
Et pourtant…
Enfin, Petite Berthe retrouvait les siens. Elle pourrait continuer le grand voyage qui la conduirait au pays du soleil, au pays de l'été.
Ce jour-là, Petite Berthe, la petite oie cendrée jura qu'on ne l'y reprendrait plus.
Ce jour-là, Petite Berthe décida qu'écouter les conseils avisés de ses parents ne nuirait pas tant que ça à son envie de découverte.
Ce jour-là, Petite Berthe devint, juste un peu, plus raisonnable.
Et c'est ainsi que Petite Berthe devint grande.